On retrouve aux Archives départementales du Nord un acte de baptême en date du 3 février 1691, établi par le Curé de la paroisse Saint Nicolas de Valenciennes, concernant " Martin, fils de Pierre Berteau et Anne Lemay", le parrain étant Martin Gonsale, la marraine, Elisabeth Marchand. Sa famille aurait été "modeste, capitée en 1697 à une livre, rue de Beaumont" à Valenciennes.

 

Nous ne possédons aucun renseignement sur ce que furent ses premières années, pas plus que sur son apprentissage musical. Les premiers documents apparemment officiels le consacrent déjà en sa qualité de musicien reconnu. Il semble que, dans sa jeunesse, il ait joué de la viole de gambe et qu’il voyageait beaucoup, surtout en Allemagne. Cela témoigne, probablement, en ce début du XVIIIe siècle, de moyens évidents, mais montre aussi que les musiciens, comme bon nombre d’autres artistes, voyageaient beaucoup, se créant des carrières internationales. En Bohême, il reçut des leçons de viole d’un musicien nommé Kozaiz (ou Kozecz) ; il acquit une grande habileté sur cet instrument mais il y renonça par la suite, ayant découvert le violoncelle qui l’avait séduit par la puissance de ses sons et, dit-on " par son large caractère dans le chant." L'audition d'un récital du plus grand violoncelliste du commencement du dix-huitième siècle Franciscello décida de sa nouvelle vocation. Il faut préciser que le violoncelle était d’un usage plus courant, en Italie, depuis plus de cinquante ans auparavant. On ne sait s’il abandonna la viole de gambe pour le violoncelle ou s’il joua simultanément sur les deux instruments. Ce qui est certain c’est que cette conversion coïncide, chronologiquement, avec la bataille, en France, entre la viole de gambe et la famille du violon. Au début du XVIIIe siècle, en France les plus grands virtuoses de la viole de gambe sont Marin Marais (1656-1728), Antoine Forqueray (1671-1745) et Louis de Caix d’Hervelois (1670-1760). Antoine Forqueray aurait essayé de jouer du violoncelle à la cour de Louis XIV, mais le Roi lui enjoignit de ne jouer que de la viole de gambe. Un pamphlet daté de 1740, dit de Le Blanc, prend la "Défense de la basse de viole contre les entreprises du violon et les prétentions du violoncelle" en ces termes : " le violoncelle qui, jusque là, s’était vu misérable cancre, haire et pauvre diable, dont la condition avait été de mourir de faim, point de franchir lippée, maintenant se flatte qu’à la place de la basse de viole, il recevra maintes caresses ; déjà il se forge une félicité qui le fait pleurer de tendresse. "

 

Le talent de Martin Berteau fut vite reconnu et lorsqu’il rentra en France il introduisit cet instrument et fut considéré comme un prodige. En 1726, il joua à la chapelle Saint-Pierre à Valenciennes. En 1739, il se produisit pour la première fois au Concert-Spirituel recueillant l’enthousiasme général à l’occasion d’un Concerto de sa composition (selon Dom Philippe Joseph Caffiaux, bénédictin, né à Valenciennes en 1712, mort à Paris le 26 décembre 1777, auteur d’une volumineuse histoire de la musique, publication annoncée en 1756 mais demeurée inédite, dont le manuscrit est conservé à la Bibliothèque Nationale). Mais, s’il ne se passait pas d’année où on ne le pressât de se faire entendre dans cette institution, Caffiaux signale " qu’avec son talent extraordinaire, il n’avait pas celui de faire sa fortune, ce qui et là le propre des hommes de talent." Un véritable engouement pour la musique se dessina au cours du dix-huitième siècle auprès de la bourgeoisie, avec l’apparition de concerts privés. Une anecdote que Martin Berteau a souvent racontée lui-même, va faire connaître son génie. Tandis qu’il jouissait à Paris de la gloire de n’avoir aucun égal, un ambassadeur, ami de la musique, l’engagea à venir faire les délices d’une nombreuse compagnie qu’il avait rassemblée. Le musicien, complaisant, vint. Il joue, il enchante. L’ambassadeur, satisfait, lui fait donner huit louis et donne l’ordre de le conduire à son logis dans son propre carrosse. Berteau, sensible à cette politesse, mais ne croyant pas ses talents assez bien récompensés par un présent si modique, remit les huit louis au cocher en arrivant chez lui, pour la peine que celui-ci avait eue de le reconduire. L’ambassadeur le fit venir une autre fois et, sachant la générosité qu’il avait faite à son cocher, il lui fit compter seize louis et ordonna qu’on le reconduisît encore dans sa voiture. Le cocher, qui s’attendait à de nouvelles largesses, avançait déjà la main ; mais Berteau lui dit : " Mon Ami, je t’ai payé pour deux fois."

 

L’opinion semble unanime : les chroniqueurs s’accordent pour reconnaître à Martin Berteau un talent de premier ordre pour son temps ; malheureusement son mérite était terni par son penchant immodéré pour le vin, défaut assez commun, signale-t-on, "aux peintres, aux poètes, et surtout aux musiciens de cette époque." Mais il semble que sa propension à l’égard du vin l’amena à moins travailler. On raconte qu’à la fin de sa vie, il réclamait souvent avant de jouer, au maître de maison, ce qu’il appelait "la colophane", poétique euphémisme pour désigner une bouteille qu’il plaçait sous son tabouret avant d’exécuter un morceau.

 

Son mérite le fit choisir pour professeur du Dauphin, fils de Louis XV. La sœur du Dauphin, la Princesse Henriette Anne (1727-1752) jouait de la viole de gambe, instrument qui avait un grand succès en France, à cette époque. Le souverain, selon le musicologue Norbert Dufourcq, ne voyait dans la musique qu’un art d’agrément de voix et non pas un moyen d’enrichir la pensée française. Il fit néanmoins bon accueil au Concert-Spirituel, première série de concerts publics parisiens, créé en 1725, à la demande d’Anne Danican Philidor (1681-1728), en accueillant dès 1725, des orchestres dans la salle des Suisses de son palais des Tuileries. Jean-Jacques Rousseau estimait que "ce concert tient lieu de spectacle public à Paris, durant le temps où les autres spectacles sont fermés. Il est établi au Château des Tuileries ; les concertants y sont très nombreux et la salle est fort bien décorée. On y exécute des motets, des symphonies et l’on se donne le plaisir d’y défigurer de temps en temps quelques airs italiens." Toujours selon Norbert Dufourcq, "Louis XV s’éprit de la fille d’un Polonais qui cultive l’art sonore et qu’il épousa. Il éleva les sept enfants qu’elle lui donna dans l’amour de la musique." C’est ainsi que Martin Berteau passa quelques années à Paris et à Versailles. Mais, trop franc, il perdit sa situation : "Monseigneur, dit-il un jour au dauphin, je vous vole votre argent.- Pourquoi, Berteau, dit le jeune dauphin ? - Monseigneur, je n’ose vous le dire. – Dis, je te l’ordonne. – Monseigneur, c’est que vous ne saurez jamais rien." Le prince le récompensa de sa franchise, mais cessa de prendre des leçons.

 

Néanmoins en 1745 le Roi donna un bal à l’Hôtel de Ville à l’occasion du mariage du Dauphin. Sur un tableau représentant cette cérémonie figure une tribune où sont installés les musiciens, parmi lesquels on remarque deux violoncellistes ; on peut se demander si l’un d’eux n’est pas Martin Berteau ?

 

Martin Berteau partit alors pour l’Angleterre où il obtint de brillants succès et gagna beaucoup d’argent. Mais il n’en fut pas plus riche car il le dépensait sans compter quand il ne l’employait pas à secourir des collègues peu fortunés qui n’avaient jamais en vain recours à lui. La misère le ramena à Versailles où un luthier qui l’avait connu le recueillit.

 

De son séjour près du Roi et peut-être plus probablement de la Reine, Martin Berteau devait tirer quelques bénéfices. Il fut nommé en effet Ordinaire de la musique de Stanislas Leczinski, roi de Pologne, ainsi que l’atteste son acte de décès. Mais le Roi de Pologne était aussi Duc de Lorraine, à l’époque état souverain et indépendant qui ne sera rattaché à la France qu’en 1766. Le Duc de Lorraine avait été, pendant un temps, également Duc d’Anjou et nous pensons que cela explique le fait que Martin Berteau soit décédé à Angers ; il devait probablement suivre la cour de Stanislas dans ses divers déplacements.

 

Martin Berteau est considéré à juste titre comme le fondateur de l’école de violoncelle en France. Il semble qu’il ait "réglementé" la tenue de l’archet. Il donna de nombreux concerts en France et en Angleterre, et professa à Paris, au Collège des Quatre Nations. Ses dons de pédagogue furent salués par ses nombreux élèves parmi lesquels on trouve (en dehors du Dauphin) : François Cupis de Renoussard (1732-1808), Joseph Rey (1738-1811), les frères Janson : Jean-Baptiste Aimé Joseph, dit l’Aîné, né à Valenciennes le 8 mars 1742 et mort à Paris le 2 septembre 1803 ; Louis Auguste Joseph, son frère cadet, né à Valenciennes le 8 juillet 1749 et mort à Paris après 1815, vint à Paris en 1763 et se produisit également au Concert-Spirituel ; Jean-Pierre Duport, dit "l’Aîné" (1741-1818), sera l'auteur notamment d'un "Essai sur le doigté du violoncelle" ; Jean-Louis Duport, dit "le Jeune" (1749-1819), Joseph Tillière, "violoncelliste ordinaire de l'Académie royale de musique", auteur d'une "Méthode pour le violoncelle" parue en 1764. ;et enfin, Jean-Baptiste Bréval (1753-1823) auteur d’un "Traité de violoncelle" paru à Paris chez Imbault en 1804.

 

Tous ces élèves ont propagé à leur tour l'art de toucher le violoncelle tel que leur maître leur avait enseigné, ainsi que celui de l'accompagnement de la voix, domaine dans lequel Berteau excellait également.

 

Jean Benjamin de Laborde, dans son "Essai sur la musique" (1780), estime que " Monsieur Bertaud fut le professeur qui contribua le plus à la perfection de cet instrument par la manière étonnante dont il en joua." Quant à Jean-Jacques Rousseau, à propos des " sons harmoniques ", dans son "Dictionnaire de la musique" (1768), il déclare : " il faut, pour en bien juger, avoir entendu Mr Mondonville tirer sur son violon ou Mr Bertaud sur son violoncelle, des suites de ces beaux sons." Plus récemment, Marguerite Campbell, dans son "Great cellists" (1988), estime que" la beauté du son et la profondeur de l’expression semblaient être ses qualités principales ; il utilisait et développait les harmoniques, inhabituelles, à cette époque, pour le violoncelle." Elle fait notamment remarquer la façon dont Martin Berteau tenait son archet, héritage de ses antécédents de gambiste.

 

Martin Berteau n’était pas seulement un instrumentiste remarquable ; il était aussi un compositeur distingué. Parmi les œuvres qu'il a composées on trouve de nombreux concertos et sonates pour le violoncelle, mais également quelques airs variés.

 

Martin Berteau mourut à Angers, ainsi qu’en fait foison acte d'inhumation passé le 23 janvier 1771 : "Le vingt-trois janvier mil sept cent soixante et onze le corps de Martin Bertault …musicien, natif des environs de Valenciennes cy devant de la musique du Roi de Pologne Stanislas, décédé d’hyer à l’âge d’environ soixante deux ans a été enterré dans le grand cimetière en présence des sieurs Jean Dujardin et Guillaume Roze, musiciens de la cathédrale, soussignés. ". Il est inhumé le lendemain dans le cimetière Saint Pierre d’Angers, l’une des plus anciennes paroisses de la ville.